HARCELÉE
Si certains doutent encore de l’utilité du bracelet anti-rapprochement dans un contexte de violence conjugale, l’histoire d’une mère de Terrebonne risque de les convaincre. Sans cesse harcelée et menacée, elle se sent abandonnée par le système et vit dans la crainte constante depuis plus d’un an, sans que la police puisse intervenir.
Frédérique Giguère
Lundi 28 février 2022
PAS PROTÉGÉE
Dès les premiers crimes commis, il ne faisait aucun doute que son ex-conjoint en était responsable, croit fermement Marie. Entre juillet et décembre, les fenêtres de sa voiture sont fracassées à cinq reprises pendant la nuit. Ses pneus sont aussi dégonflés. Le suspect s’en prend également au père de sa victime en commettant les mêmes méfaits sur son véhicule.
JUILLET 2020
Puis, avant les Fêtes, l’individu récidive en versant une bouteille de boisson gazeuse dans son réservoir d’essence, en pleine nuit, et en essayant une fois de plus de percer ses pneus.
Mais cette fois-ci, Marie est sûre que les autorités pourront lui passer les menottes, puisqu’elle s’est munie de caméras de surveillance.
J’ai les images de lui qui arrive près de ma voiture et qui voit que j’ai fait installer des détecteurs de bris de vitre. On le voit ensuite partir quelques minutes et revenir avec du Pepsi, et vider ça dans le réservoir.
« J’ai donné tout ça aux policiers en leur disant qu’il était sûrement allé l’acheter quelque part aux alentours, le Pepsi, et qu’il y avait sûrement des images de caméras d’un dépanneur quelque part. Mais encore une fois, il ne s’est rien passé.»
Si Marie a connu une certaine accalmie pendant l’incarcération de son ex-conjoint, le harcèlement a recommencé de plus belle dès sa libération, en été 2021.
Il a été arrêté pour non-respect de ses conditions peu après sa sortie, mais a été acquitté quelques jours plus tard.
Sur sa page Facebook, l’individu publie des documents de cour, traite son ex-conjointe de «snitch» et tente de l’humilier. Il a également publié des vidéos gênantes d’elle, filmées à l’époque où ils formaient un couple. Les premières publications remontent au mois d’août. Il a même poussé l’audace jusqu’à publier une annonce d’escorte avec son numéro de téléphone et celui de sa mère handicapée.
Un VUS s’est immobilisé dans la rue, à la hauteur de sa fenêtre de chambre, et quelqu’un à bord a ouvert le feu à deux reprises.
Les balles ont traversé le cadre de la fenêtre et ont ricoché dans le plafond. Sa fille, réveillée en sursaut par le bruit des déflagrations, fut très ébranlée. Pour la rassurer, Marie lui a expliqué qu’un problème électrique était survenu.
L’événement est survenu dans la nuit de vendredi à samedi, mais Marie n'a signalé le crime que le lundi matin. Elle explique ce délai par son grand manque de confiance envers la police de Terrebonne.
Peu après ce crime, l’identité judiciaire de la police de Terrebonne a été déployée sur les lieux afin de passer la scène au peigne fin. Les impacts de balles ont notamment été analysés.
Bien que trois mois se soient écoulés depuis cet événement pour le moins traumatisant, l’ex-conjoint de Marie n’a jamais été rencontré par les enquêteurs au sujet des coups de feu tirés chez elle. Il a même été aperçu dans l’Ouest canadien, a confirmé la police, qui a partagé cette information avec son agent de probation.
À l’été 2020, au terme d’une relation de cinq ans ponctuée d’épisodes de violence ainsi que de nombreuses séparations et réconciliations, la femme dans la trentaine a commencé à subir du harcèlement.
Marie, dont nous tairons le véritable nom pour des raisons de sécurité évidentes, espérait une vie plus calme et moins toxique. Mais ce fut plutôt le début d’une période infernale pour elle et ses proches.
À bout de ressources, elle tenait à raconter son histoire afin d’illustrer la faiblesse des lois pour protéger les victimes de violence conjugale.
Photos Chantal Poirier, Journal de Montréal
Dès le premier événement, Marie avise la police. Chaque fois, elle filme les dégâts le lendemain matin en espérant récolter des preuves pour faire arrêter son ex-conjoint. Chaque fois, on manque de preuves pour l’accuser.
Vidéo fournie par la victime
Capture d'écran Journal de Montréal / Vidéo fournie par la victime
DÉCEMBRE 2020
Vidéo fournie par la victime, montage Journal de Montréal
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JUIN 2021
»
Les policiers m’ont suggéré de porter plainte pour violence conjugale, en disant que j’aurais plus de chances comme ça, dit-elle. Je l’ai fait, même si c’était douloureux parce que je n’avais pas nécessairement envie de rebrasser tous ces mauvais souvenirs.
«
»
Photos Chantal Poirier, Journal de Montréal
Son témoignage fut solide et convaincant. Les enquêteurs ont finalement appréhendé son ex pour voies de fait, menaces et harcèlement. Il s’est ainsi écoulé six mois entre la première plainte de Marie et l’arrestation de son ancien conjoint.
Après avoir plaidé coupable, il a écopé de six mois de prison. En raison d’une détention provisoire de quatre mois, il a été libéré le lendemain de sa sentence. En plus d’une probation de trois ans, il lui est depuis interdit d’entrer en contact avec sa victime et de parler d’elle sur les réseaux sociaux.
— Le commandant Joël Lamarche, porte-parole
de la police de Terrebonne.
On est toujours en enquête afin d’établir que les publications en question ont bien été faites par cet individu-là
«
»
Que fait donc la police, considérant qu’il semble continuellement transgresser ses conditions de libération?
NOVEMBRE 2021
Photo LinkedIn
La situation a pris une autre tournure à l'automne, lorsque des coups de feu ont été tirés dans la fenêtre de la chambre de Marie, en pleine nuit. Ce soir-là, Marie était absente et sa fille se faisait garder.
Capture d'écran Journal de Montréal
Vidéo fournie par la victime (audio altéré), montage Journal de Montréal
Je dors toujours avec ma fille, et exception-nellement, ce soir-là, elle n’était pas dans mon lit, mais il sait très bien qu’elle dort avec moi chaque nuit. Il a donc voulu s’en prendre à elle aussi.
Ça fait des mois qu’il me harcèle et ils ne l’arrêtent pas. On était vraiment ébranlés, j’ai pris le temps de reprendre mon souffle avant d’aller les voir. De toute façon, à ce stade-ci, ça ne change rien
FÉVRIER 2022
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«
»
«On n’a pas honte du tout de toutes les démarches qui ont été faites dans ce dossier, explique le capitaine Joël Lamarche, de la police de Terrebonne. Tout a été fait dans les règles de l’art avec notre équipe dédiée à la violence conjugale. Son dossier est toujours en enquête.»
Écoutez le témoignage de Marie
À la recommandation des enquêteurs, Marie a depuis déménagé.
Photos Chantal Poirier, Journal de Montréal
La voix de la victime a été modifiée pour préserver son anonymat
C’est quand même spécial, que ce soit moi qui doive déménager en pleine pandémie et me cacher, alors que c’est lui, le criminel.
«
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BRACELETS
ANTI-RAPPROCHEMENT
Ces dispositifs pourraient permettre à Marie de mener une vie bien plus tranquille s’ils étaient implantés au Québec. Il s’agit de bracelets anti-rapprochement.
Capture d'écran Journal de Montréal
Vidéo fournie par la victime,
montage Journal de Montréal
Comment fonctionnent-ils?
Photos archive AFP
Photomontage Journal de Montréal
Cette technologie permet une augmentation du sentiment de sécurité, de pouvoir et d’autonomie chez les victimes, une réduction des non-respects des engagements chez les auteurs …
«
peut-on lire dans l’étude de faisabilité dévoilée à l’automne et réalisée par deux chercheurs de l’École de criminologie de l’Université de Montréal.
»
Les bracelets devraient faire leur apparition dès ce printemps, selon ce que la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault a annoncé en décembre dernier, lors d’une conférence de presse. Un projet de loi vient d’être déposé concernant l’implantation de ce nouvel outil technologique. Si tout se passe comme prévu, les premiers bracelets pourraient être distribués dès le mois de mai.
Image tirée de l'étude
Photos archives Journal de Montréal
Le Dr Jacques Ramsey, du Bureau du coroner, a récemment rendu public un rapport sur le décès d’un conjoint violent qui s’est enlevé la vie. Il y recommande l’implantation de ces bracelets. Pour lui, il est clair qu’une telle technologie de surveillance permettrait de prévenir des meurtres.
C’est un outil indéniable dans la lutte contre
les féminicides.
«
— Dr Jacques Ramsey, coroner
»
Le bracelet ne sera toutefois jamais la solution à tout, croit le coroner. La prévention et l’aide à la santé mentale demeurent essentielles afin de prévenir les drames. L’étude a d’ailleurs démontré que cette technologie n’empêchait pas les contrevenants de récidiver avec d’autres victimes.
Autrement dit, la personne est peut-être une bombe à retardement, lance le coroner Ramsey, sans toutefois faire référence à un cas en particulier. La prochaine femme qu’il rencontre pourrait être la prochaine victime.
«
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Photos archives Journal de Montréal
Textes et recherche
Frédérique Giguère
CRÉDITS
Design
David Lambert
Intégration web
Cécilia Defer
Pour finalement faire bouger les choses, il aura fallu que Marie porte plainte officiellement contre lui pour les événements de violence conjugale survenus lors de leur relation houleuse.
Janvier 2021
Exaspérée, Marie a filmé les dommages causés à sa voiture à trois reprises.
Le contrevenant attache un premier boîtier à sa cheville, alors que la victime traîne avec elle un second boîtier.
Si le contrevenant entre dans une zone de «préalerte», une centrale d’appel l’avise de s’éloigner.
Les deux dispositifs sont munis de GPS et déclenchent une alarme lorsqu’ils sont près l’un de l’autre.
S’il pénètre dans une zone d’«alerte», la victime et les policiers en sont informés.
L’admissibilité à ces bracelets sera établie en fonction du risque de récidive des conjoints violents.
Vidéo fournie par la victime, montage Journal de Montréal
Capture d'écran Journal de Montréal
Vidéo fournie par la victime
Capture d'écran Journal de Montréal
